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La justice est une question de priorités. A la surprise des avocats et de la presse, la justice kényane a annoncé, lundi 11 novembre, que le procès du leader de l’Eglise internationale de bonne nouvelle, Paul Nthenge Mackenzie, suspecté d’être à l’origine de la mort de plus de 400 fidèles, était ajourné faute d’un nombre suffisant de procureurs disponibles.
Le gourou et les quatre-vingt-quatorze complices présumés qui comparaissent à ses côtés depuis le 8 juillet devant le tribunal de Shanzu, près de Mombasa, dans l’est du Kenya, sont accusés d’avoir incité les membres de la secte, dont des enfants, « à jeûner jusqu’à la mort » afin de « rencontrer Jésus ».
Sept procureurs sont censés assurer le rôle du ministère public dans cette affaire judiciaire hors norme. Pourtant, lundi matin, un seul des représentants du parquet était disponible pour assurer la bonne tenue de ce procès.
Victor Simbi, l’unique représentant du ministère public en poste ce jour-là, a demandé à la cour un ajournement de l’audience alors que trois jours devaient être dédiés à l’audition de témoins. « Trois des procureurs ont été affectés à d’autres cours avec effet immédiat. Les autres, basés à Nairobi, ne sont pas disponibles non plus. Ils ont eux aussi été affectés à d’autres obligations. Je suis le seul procureur disponible pour la semaine », a-t-il expliqué. Victor Simbi a rappelé que si « une équipe de sept parquetiers avait été mise sur pied pour s’occuper du dossier » c’est en raison « du poids, du sérieux et de l’intérêt public » de l’affaire.
Paul Mackenzie et ses coaccusés sont poursuivis pour des charges aussi diverses que « terrorisme », « meurtre », « homicide involontaire », « enlèvement », « torture d’enfants » et « cruauté ». L’affaire, de par son ampleur, a été morcelée en plusieurs procédures distinctes.
Lawrence Obonyo, l’un des avocats de la défense, s’est fermement opposé au report. « Je comprends la situation difficile dans laquelle se trouve M. Simbi, mais l’Etat a les capacités et les ressources pour affecter des agents afin d’assurer un procès régulier et continu », a-t-il déclaré dans la presse kényane. Rappelant que les accusés étaient maintenus en détention provisoire après qu’une demande de libération sous caution leur a été refusée, il a réaffirmé l’importance d’un procès « rapide et équitable ». « A aucun moment, les accusés n’ont été à l’origine du retard du procès », a-t-il rappelé.
Paul Mackenzie, 52 ans, un ancien chauffeur de taxi, avait créé son Eglise en 2003. Dans ses prêches, le gourou appelait ses fidèles à retirer leurs enfants du système scolaire, à boycotter les hôpitaux publics et à brûler leurs papiers d’identité. En 2019, devant les excès du pasteur autoproclamé, l’Etat avait interdit son Eglise. Il s’était alors installé dans la forêt de Shakahola, près de Malindi, une station balnéaire de l’océan Indien, incitant les membres de sa communauté à faire de même.
En janvier 2023, les membres de la secte, interdits de contact avec l’extérieur, avaient commencé à jeûner sur ordre de Paul Mackenzie. Quelques mois plus tard, en avril, les premières tombes étaient découvertes dans la forêt, suscitant un vif émoi dans la population kényane. Au total 446 personnes ont été retrouvées mortes dans la forêt de Shakahola.
Les reports d’audience ne sont pas inhabituels dans le système judiciaire kényan. « Il faut se méfier d’une lecture simpliste qui consisterait à dire qu’un report d’audience est fatalement un déni de justice, estime Clinton Ogeto, avocat et membre de la Law Society of Kenya. On peut voir ça autrement et considérer que la justice se donne le temps de bien faire les choses. Le procès Shakahola est un cas d’intérêt public majeur et doit être traité avec précaution. L’Etat doit prendre le temps de fournir des procureurs. D’autant que le dossier est complexe. Que dirait-on si une seule personne devait gérer toute l’affaire ? »
Les nouveaux magistrats devront prendre le temps de se familiariser avec le dossier avant que le procès ne reprenne. La date de reprise a été fixée au 3 mars 2025.
Arthur Frayer-Laleix (Nairobi, correspondance)
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